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104 : réponses à des questions extrait de la conférence du 8 juillet 1998

Pour tous ceux et celles qui n’ont pas eu la chance d’assister au Cabaret Mystique extrait de la conférence d’Alexandro JODOROWSKY

Maintenant si vous voulez me poser des questions, j’aimerais bien voir si je suis capable de répondre.
Vous voulez bien ? On est entre amis, non ?

Qu’est-ce que nos peurs nous apprennent ? Y a-t-il un message, un enseignement derrière nos peurs ?

Bien sûr, tout peut nous apprendre ! Mais quand est-ce que la peur nous apprend ? J’ai appris ça dans les rêves. J’ai eu à une époque de ma vie un cauchemar répétitif. C’était une entité énorme qui venait de l’horizon qui venait vers moi et en dormant je me mettais à trembler, à trembler et je me réveillais. C’était une angoisse répétitive. Un jour je me suis dit que ça suffisait, qu’il fallait que je m’en échappe, que je me donne. « allez, mange moi ! »
Et ma mère est apparue et elle me dit : "Mon fils, tu as besoin de quelque chose ? " J’avais besoin d’une maman, tu comprends !
La peur ce sont des entités qui sont en nous qui veulent se manifester ce sont des aspects, parce que nous sommes multiples, de notre personnalité qu’on a vécu, ou qu’on n’a pas vécu. Alors ils viennent vers nous pour nous donner un message. La manière d’en finir avec la peur, c’est de rentrer directement dans la peur et voir quel est le bénéfice, le message qu’elle te donne. C’est comme ça qu’on apprend de la peur. Quand on s’échappe, à la fin on ne peut plus s’échapper, on se réveille, donc tu t’échappes. Tu veux me manger ? Manges-moi ! Tu as un message pour moi ? Dis moi ton message ! Quel est ton message ?

Il y a un samouraï féroce, tout le monde s’enfuit devant lui. Un jour il arrive dans un temple où il y a un petit vieux qui ne s’échappe pas et qui le regarde. Le samouraï : " Tu vois cette épée ? Je peux te couper en deux sans sourciller ! " Le vieillard : " Tu vois ces yeux ? Je peux te regarder et me laisser couper en deux sans sourciller ! "

Dans une de tes dernières conférence tu parlais d’étude comparative des religions, tu parlais du christianisme et du bouddhisme et tu as dit rapidement quelque chose sur le judaïsme, est-ce que c’est possible d’en parler par rapport à cette étude comparative ?

Quand je parlais du Bouddhisme, je disais que Bouddha avait établi le non-moi. Il a médité, médité, à la fin il a dit : on n’a pas de moi. Pour le christianisme je parlais de l’immortalité de l’âme, de réincarnation de l’âme, de résurrection de l’âme, mais avec notre personnalité. Les juifs, selon ce que je sais, au risque de me tromper énormément, ont l’idée que Dieu a créé un univers avec un vide pour nous, et nous sommes là en train de le demander, notre attitude, c’est demander l’être, on est en demande de l’être, en demande du messie. Il y a 100 000 ans que j’attends le messie, ce n’est pas le Christ, et je l’attends. C’est une attitude d’attente ; le bouddhisme c’est une attitude de perte totale. Le christianisme, c’est une conservation totale de la personne, c’est bonne qualité bien sûr ! Mais c’est mauvais aussi, car si tu es mauvais, tu vas en enfer.
Le judaïsme, c’est une attente totale de la personne.
Alors j’ai dit qu’on peut dépasser ça, en acceptant qu’en nous vit une conscience immortelle, qui est impersonnelle vis-à-vis de notre personnalité mais qui n’est pas du rien. Cette conscience, c’est une goutte, mais pas d’un océan, c’est un bijou créé, il n’y aura pas une autre conscience individuelle que la tienne à laquelle tu appartiens.
C’est ce que j’ai dit dans les blessures. Si le Jésus se donne à son Christ, ce Christ là, c’est une conscience impersonnelle immortelle. C’est un grand espoir de penser que si nous travaillons, et que nous prêtons notre cerveau à gagner cette conscience immortelle, pour que cette conscience se manifeste, si nous donnons notre créativité, si nous donnons notre corps, pour qu’à un moment donné notre corps puisse arriver à l’extase, ce que font beaucoup de gens dans la nouvelle religion de l’ayauasca, où on prend un liquide et on tombe en extase. Que fait-on avec ça : on donne au corps l’opportunité, qu’il ne peut pas se donner par un travail de plusieurs années, de sentir instantanément l’extase. C’est incroyable !
Bon, je comprends qu’il y a des femmes qui vivent 20 ans sans orgasme, l’extase sexuelle, je le comprends, on peut la sacrifier.
Mais l’extase spirituelle et corporelle, ne jamais connaître dans sa vie la joie totale, la joie de la vie, je suis plein d’amour, plein de lumière, quelle merveille !! C’est lamentable qu’on puisse passer par la vie sans connaître ça.
Alors l’être humain s’il n’y arrive pas va demander de l’aide à la nature, je ne suis pas contre !
C’est pas pour moi, mais je ne suis pas contre parce que il y a des personne qui n’arriveront jamais, elles sont tellement blessées, c’est à tel point le manque, que sans aide extérieure elles n’arriveront pas !
Voilà, j’ai répondu.

Par rapport aux blessures, est-ce que le Christ serait l’amour et donc on n’aurait plus besoin de blessures ?

Non, non, ce n’est pas ce que j’ai dit. Je fais la différence entre Jésus et Christ. Je parle d’un mythe qui parle de blessures, je ne suis pas en train de nier le mythe. Si dans la religion et le mythe il y a un corps avec des blessures, on ne peut pas dire non. Il faut interpréter ce que le mythe nous donne, et le mythe nous donne des blessures, nous donne un Jésus blessé, donc je suis obligé d’analyser les blessures telles qu’elles sont. Et la blessure du Christ, c’est une pure merveille !!
Quand il arrive avec son corps de lumière et que tous les apôtres sont là, ils sont en train de manger du poisson, et le Christ de lumière se coagule de nouveau en un être humain et mange du poisson avec eux et Thomas dit : "Tu n’es pas l’être immortel"
Alors il lui montre la blessure : "Mais j’ai la blessure."
C’est incroyable ça !! parce que l’être de lumière a conservé la blessure !! Il peut la refaire quand il veut ! Thomas met la main dans la blessure et il a l’électrochoc de sa vie ! Parce que par la blessure il est en contact avec la divinité totale, il tombe dans la plus grande extase qu’il n’a jamais connue ! Il a mis la main dans le corps de la divinité.
On rentre dans la divinité par la blessure. C’est dans les Évangiles.

Mais je pense à mes blessures, quand je parle, je parle de moi.
J’ai été un enfant blessé, avec un manque, de père, de mère, je manquais de tout. A partir de quatre ans, j’ai manqué de tout. Jusqu’à 4 ans j’étais un petit Dieu, puis mon père a coupé mes cheveux dorés qui me faisaient ressembler à mon grand-père, et après j’ai perdu le paradis. Donc une blessure épouvantable que j’ai traînée toute ma vie. Comme on traîne un chien, moi j’ai traîné une blessure. Et parfois la blessure me traînait !
Donc quand je parle, je parle de ma blessure, de ce que j’ai pu faire pour vivre, pour cicatriser peu à peu, pour me refaire.
Jamais avec la plus grande des blessures je n’ai arrêté de faire, ma créativité, jamais je ne l’ai arrêtée. Je ne laisserais pas une blessure me jeter par-terre. Je continue, je continue.....

A l’époque je faisais un film au Mexique, et les Mexicains m’avaient donné le cheval de John Wayne parce que je voulais jouer un macho ! Ah bon, tiens, monte sur le cheval de J. Wayne ! et plaf ! je tombe par-terre et je me blesse là !
Si j’étais blessé, le film était fini, les Mexicains ont compris qu’il fallait me sauver.
Ils m’ont dit de remonter tout de suite sur le cheval parce que si je ne remonte pas tout de suite, je ne monterai plus jamais ! Alors bon, je remonte sur le cheval mais dès que la scène est finie, je crie "Descendez moi de ce cheval !!"
Il y a des coups dans la vie qui sont durs ! Ils viennent terribles sur ton dos, les coups. A ce moment là il faut supporter, subir la pluie de coups et continuer. Il ne faut pas se laisser abattre. J’aime beaucoup l’histoire du soldat, même mort il gagne la bataille, gravement blessé, il se fait attacher sur le cheval et le cadavre gagne !

Mon fils travaillait avec Vignaud avant d’être acteur, un jour il me dit : "Il m’a fait tomber, mais en tombant j’ai donné un coup de pied et j’ai gagné !" C’est génial !
Aller avec le Christ intérieur, pas avec le Jésus. Vaincre la faiblesse !

Ma femme m’a quitté ! Formidable pour toi, comme ça tu sais qu’elle ne t’aimais pas !

Le gars dit à sa femme : "Si tu apprenais à faire la cuisine, on économiserai la cuisinière !"
"Oui, dit la femme, si toi tu apprenais à faire l’amour, on économiserait le chauffeur."

Il ne faut pas se laisser faire. Il faut y aller !
Les samouraïs ne reconnaissent jamais une erreur devant les autres. Dans le bushido, un samouraï ne vas jamais dire, là il y a une erreur. Il la voit, il sait qu’il a fait une erreur, mais il ne le dit pas. Parce que généralement les autres ne se rendent même pas compte. C’est pas l’affaire des autres l’erreur, c’est mon affaire.
Ne mets pas le doigt dans mes blessures. Moi je mets mon doigt dans mes blessures. C’est moi qui le soigne, c’est pas toi.
Bon, si tu as besoin d’un médecin, tu as besoin d’un médecin. Mais ça dépend quelle aide on reçoit. 70% des maladies sont faites par le thérapeute et par le médecin. Ce sont les maladies iatrogènes.
Ne m’aide pas compère, disent les mexicains, car chaque fois que le compère m’aide, il m’enfonce.
J’ai répondu ! Je vide mon foie !

Comment on trouve la force en soi ?

Ah !! Là je peux te répondre ! L’autre jour on m’a passé un flacon avec un bouchon qu’on ne pouvait pas ouvrir. Il était vraiment collé. Je me suis dit, je vais appliquer ce que je pense. J’ai pris le flacon et j’ai appliqué la force de l’esprit. Alors j’ai commencé à pousser avec une force minimale, et je me suis donné tout le temps du monde pour le faire, j’ai engagé mon temps et j’ai engagé mon intention, j’ai engagé ma vie. Il s’agit de l’ouvrir, je vais l’ouvrir. Que ça prenne le temps que ça prenne. Patience totale, engagement total, attention totale. Et après, petit à petit, (il ne faut pas avoir la force, il faut y aller petit à petit), il faut faire des petites actions fortes. Une petite, une autre petite... et j’ai pu ouvrir le flacon, plus vite que je ne l’avais pensé. Mais je n’espérais pas le faire tout de suite, aucun désir de faire une démonstration, je ne voulais pas démontrer que je pouvais. Si j’avais raté, j’aurais raté... Je suis excellent, je ne suis pas parfait.
La force c’est dire la vérité là. Tu as fait mon travail ? Non, je ne l’ai pas fait. Je ne dis pas : j’ai oublié, j’avais autre chose à faire ; je n’ai pas d’explication à donner. Il faut assumer objectivement ta vérité.

Tu as rencontré Krishnamurti, quelle perception tu as de lui ?

C’est une rencontre assez incroyable ! J’ai payé 16$ pour le voir. C’était un théâtre à New York, plein. Un théâtre de 2000 places. Multiplie 16$ par 2000, c’est combien ? Il faisait 2 conférences par jour pendant 15 jours. Une fortune !! Au moins un million de dollars ! Alors je me suis assis avec un baba-cool qui m’avait amené, et il avait un appareil enregistreur. Et pendant toute la conférence il a dormi parce qu’il a enregistré. Moi j’étais attentif. Alors est venu un monsieur très bien habillé. Il avait des cheveux blancs, mais en-dessous il était chauve, il s’était fait une grande mèche, comme ça... (rires) ça m’a étonné d’un illuminé, mais...dans la Putagita d’Atatraya traduit par Alexandra D. Neel on dit : "Ne t’occupe pas si un maître a des défauts parce que quand une barque va te faire traverser la rivière tu ne t’occupes pas si elle est bien ou mal peinte" Là, il était mal peint. Quand il est rentré, il a trébuché avec le micro, après il s’est assis et a répondu à des questions comme moi, mais pas avec l’enthousiasme que j’ai là, (avec une voix d’enfant) : "nianianiania... il n’y a pas de maître, il n’y a rien, n’attendez rien de moi, n’attendez rien de rien etc." Pendant 2 heures avec cette petite voix, sans changer d’intonation. Oui, bon, il est arrivé à la sagesse totale, mais quand il parle, mon copain baba-cool s’endort ! et moi je m’emmerde à mourir ! Un peu d’enthousiasme ! Bon Krishnamurti est un grand, grand, grand penseur, il pense. Ce qu’il dit c’est formidable, mais ce qui est incroyable, c’est que ça ne sert à rien. Parce qu’il faut tuer les penseurs. Il y a un moment, c’est le cœur... Castañeda était formidable, en citant St Jean de La Croix : "Je ne marche que par les chemins qui ont du cœur, si le chemin n’a pas de cœur, je ne marche pas" C’est une grande, grande leçon.
Le langage du cerveau, c’est un piège. C’est formidable, parce que ce piège là, il faut le rendre de plus en plus transparent, de plus en plus riche, de plus en plus souple, de plus en plus infini, de plus en plus illimité et quand on arrive à casser les limites de la pensée on plonge dans cet inconnu là. C’est pour ça que Heidegger était intéressant. Quand il est parti à la recherche de l’Etre, il ne savait pas où il allait. Mais les petits intellectuels que nous connaissons bien, avant de faire un livre, avant de parler ils savent déjà où ils vont, ils ne risquent rien ! Il n’y a pas de risque. Penser c’est risqué ! Nietzsche a risqué la folie. Il s’est laissé abattre, tant pis pour lui, on ne doit pas finir fou quand on est philosophe, on ne doit pas choisir la folie. Il faut plonger vers le cœur.
Alors Krishnamurti est bon, il est formidable, il a dit : "je ne vais pas faire d’élèves, il n’y a pas de maître" donc il ne doit pas gagner 1 million de dollars en ayant des tas d’élèves dans le monde. S’il n’y a pas d’élèves, il ne faut pas faire de livres, il faut être conséquent avec ce qu’on dit. Si on dit que c’est inutile d’enseigner, il ne faut pas enseigner.

Je ne m’attendais pas à cette question, mais je voulais dire ma vérité. Peut-être je me trompe.
Arnaud Desjardin est un homme honnête, il ne fait pas de théâtre, il est ce qu’il est. C’est un personnage très, très fort, paternel, avec ses idées sur l’Inde, c’est un instructeur, il enseigne.
Je préfère un instructeur à une divinité qui passe devant moi. On en a marre des divinités, on en a marre des génuflexions.
Le Pape devrait bénir la foule avec une Papesse ! C’est le moment que j’attends !! et vraiment je l’attends ! Il y a deux ans j’étais à Rome et le Pape bénissait de son balcon et une colombe est venue.. il l’a chassée ! comme ça...elle pouvait lui chier sur son costume !
J’imagine le Christ, la colombe du Saint Esprit arrive et lui aaaaah...il la chasse !

J’aimerais savoir quelle place tu fais à la connaissance. Au début tu pars de cette histoire du croyant qui a toutes les réponses et l’incroyant qui n’a que des questions.
Si j’ai besoin de croire, c’est que je ne sais pas vraiment, et si je sais, je n’ai plus besoin de croire. Quelle est la relation entre la croyance et la connaissance ?

Ramakrishna a répondu à ça et Jung l’a copié.

On a demandé à Ramakrishna, "Est-ce que vous croyez en Dieu" Il a répondu "Non". Comment ? un être spirituel comme vous ne crois pas en Dieu ? "Non, je ne crois pas en Dieu parce que je le connais."

Moi, je suis bien loin de ces questions-réponses. Tu connais où tu ne connais pas. Un point c’est tout. Tu as l’orgasme ou tu n’as pas l’orgasme, un point c’est tout !
C’est un moment suprême, le moment où la personne accepte de mourir, elle s’ouvre comme une fleur à une expérience nouvelle intérieure. C’est un moment capital dans ta vie, parce que ça fait peur, ça fait peur de changer. Je veux la connaissance, je sais que je peux l’avoir, mais j’ai peur de la nouvelle connaissance que l’extase va me donner. Ce que l’extase va te donner, c’est toi-même dans ta pureté totale. Donc tu as peur de toi-même dans ta pureté totale. Tu as peur d’être surveillé par papa, maman, l’arbre généalogique, la société, l’Histoire. Parce que chaque fois que tu fais une expérience avec toi, tu dé-so-béi ! Tu vas désobéir à l’université, au diplôme, au curé, à Bouddha.
Moi pendant ma vie j’ai cherché la poésie parce que je suis né parmi les poètes, à partir de 17 ans je faisais des poésies, en imitant toujours, parce qu’il y en a tellement ! Garcia Lorca, Neruda, Mistral, P da Roca... et moi avec ma pauvre poésie, je ne m’y retrouvais pas ! C’était terrible ! Et un jour, de ça il n’y a pas plus de 3 ans, je me suis dit "Merde à tous !" je vais écrire exactement comme je le veux. Je me suis trouvé, une porte s’est ouverte et j’ai commencé à faire les poèmes exactement comme je voulais et j’ai trouvé ma façon de faire, personne ne va les lire, je m’en fiche ! Mais mes poèmes sont à moi !
Tu deviens toi-même, et quand tu deviens toi-même on peut te dire ce qu’on veut, tu déchires la différence !

Cassette enregistrée et prêtée par Denis Patouillard Demoriane.
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