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103 - Comment sortir de l’enfance extrait de la conférence du 3 février 1999

Pour tous ceux et celles qui n’ont pas eu la chance d’assister au Cabaret Mystique d’Alexandro JODOROWSKY

Aujourd’hui je me suis dit que je raconte souvent des blagues mais je connais aussi des histoires initiatiques. Une histoire initiatique c’est comme une carte du TAROT, c’est à dire qu’on voit une carte du TAROT, un jour on donne une explication, par exemple avec LA MAISON DIEV :

On dit c’est la tour foudroyée, la vanité humaine qui veut construire une tour, après on approfondit et on dit, mais pas du tout personne n’est en train de tomber, ce sont des corps qui s’ouvrent à la force, c’est la kundalini qui monte et après on médite et on se dit mais non c’est le Temple qui s’ouvre et tout ce qui est enfermé s’ouvre à l’extérieur. Au fur et à mesure que l’on fait des ouvertures dans la conscience, la carte du TAROT change. Elle est souple, c’est comme les nuages dans lesquels on peut voir quelque chose d’horrible ou quelque chose de beau.

C’est l’histoire à Noël où il y a un enfant pessimiste et un enfant optimiste. Au lieu des cadeaux le frère pessimiste met à l’autre une crotte de cheval. Le lendemain le pessimiste dit « à moi on m’a donné des jouets » mais l’optimiste dit « à moi on m’a donné un beau cheval, mais il est parti. »

L’interprétation change selon comment nous sommes. Pour les histoires initiatiques c’est pareil : au premier degré c’est une espèce de petite blague, après on en tire une leçon morale et après on applique cela profondément pour soi et on fait un progrès.

Le thème que je veux traiter aujourd’hui est un peu difficile « quand est-ce que l’on sort de l’enfance ? » Moi non plus, je ne sais pas. Donc je préfère commencer par des petites histoires initiatiques pour voir si je suis utile pour vous.

« On frappe à la porte et quand on ouvre la porte il y a un homme pauvre qui dit « vous n’avez pas un morceau de pain ?

  • ici, ce n’est pas une boulangerie, non !
  • vous n’avez pas un morceau de viande ?
  • ici ce n’est pas une charcuterie, non !
  • Et vous n’avez pas un peu de farine ?
  • non, ici ce n’est pas un moulin, non ?
  • vous n’avez pas un tout petit peu d’argent ?
  • non, ici ce n’est pas une banque.
  • Dehors il fait tellement chaud, chez vous il y a de l’ombre, vous ne pouvez pas me laisser rentrer
  • oui, asseyez-vous.

L’homme rentre, s’assoit, descend son pantalon et fait ses besoins.
Mais qu’est-ce que vous faites !!
dans une maison si inutile on ne peut s’en servir que comme une chiotte ! »

C’est le grand soufi Roumi qui raconte cette histoire. Au premier degré on pourrait l’interpréter comme celui qui n’a pas de générosité ne sert à rien, cela mérite le mépris. Quand j’ai commencé à étudier les TAROTS c’était secret. Mais dans l’ésotérisme le secret donne du pouvoir. Si on a une connaissance, on ne la raconte pas. Mais à quoi ça sert ce pouvoir ? A propos du pouvoir il y a une autre histoire.

C’est un Maître qui a un bol d’or. Arrive un disciple qui médite avec le Maître, s’approche très près du bol d’or car il veut le prendre. Le Maître voit cela, prend le bol d’or, ouvre la fenêtre et le jette par la fenêtre. Il dit au disciple

  • et maintenant, quoi ?

Il supprime le motif de la convoitise du disciple. Pour lui le bol d’or était un outil, ce n’était pas une valeur marchande. Parfois on convoite dans l’autre des choses que l’on a soi-même. Car au fond le bol d’or on l’a tous, mais généralement on convoite celui des autres.

LACAN raconte qu’un enfant qui voit un autre enfant qui mange une glace dit à sa mère :« 

  • je veux une glace comme ça »
  • d’accord je vais t’en acheter une
  • non,non, je veux celle-là

Il veut dire que l’objet du désir ce n’est pas ce que l’on n’a pas mais ce que l’autre a.

Cela me sert beaucoup car quand j’ai vu le film de Bunuel « Tourments » je suis ressorti vert de jalousie car il avait fait ce que je voulais faire. Mais après quand j’ai fait ce que je voulais faire ce n’était pas du tout ce que Bunuel faisait.

Je vais vous raconter toutes les histoires, et après je vais les analyser et les approfondir.

C’est un gars qui veut être lutteur et on lui dit que l’image du lion donne la force et qu’il faut qu’il fasse un tatouage de lion dans le dos. Il va chez le tatoueur et lui dit :« 

  • fais-moi un lion dans le dos
  • je vais commencer par la queue
  • ça fait mal !! fais-moi un lion sans queue..
  • maintenant l’oreille du lion
  • non, non cela fait mal , fais-moi un lion sans oreille
  • la tête
  • sans tête etc..

à la fin il demande un lion sans rien, sans corps. Le tatoueur lui dit alors que c’est fini et le gars sort et il n’a rien dans le dos.

On veut les choses mais on ne veut pas payer le prix. Pour avoir quelque chose il faut faire un petit sacrifice. L’enfant veut qu’on lui donne tout sans sacrifice. Quand je prenais des leçons de karaté avec Vignaud il disait « si tu veux casser l’os, il faut que tu donnes un morceau de ta chair, dans le combat ».

Dans la carte du TAROT LE PENDU

on dit qu’il est sacrifié. Mais de quel sacrifice on parle ? Pour devenir adulte, quel sacrifice doit-on faire ?

 

 

 

Cette histoire-ci c’est un bijou !

A la fin de leur vie chaque chinois devait faire un poème avant de mourir. C’est la dernière chose que l’on faisait dans la vie : un poème.
C’est un guerrier formidable, mais sa femme l’a quitté. Il souffrait tellement qu’on a dit qu’on allait lui faire une saignée.

  • non, non, non. Je ne veux pas qu’on me fasse une blessure
  • mais c’est une toute petite blessure ! Et vous êtes un guerrier, si grand et vous avez peur d’une petite blessure ?
  • non, non, je n’ai pas peur d’une blessure mais je suis tellement plein de cette femme que j’ai peur que cette petite blessure la blesse, elle.

Quelle belle histoire d’amour !

Un Maître de tir à l’arc ne donnait ses leçons qu’aux nobles. Il y avait un pauvre garçon qui avait un désir de progresser mais comme il ne pouvait pas avoir cet homme comme maître il l’a observé de loin et a fait une sculpture. Il va dans les bois avec la sculpture et lui dit « 

  • Maître, comment on tire ?

La sculpture répondait :

  • on tire comme cela
  • comment on met les doigts ?
  • on les met comme cela..

Les élèves du Maître ont vu qu’il tirait mieux qu’eux et ils l’ont dit au Maître. Alors il appelle le garçon et lui dit

  • quel est ton Maître ?
  • c’est vous, car j’ai fait une sculpture de vous et mon Maître c’est vous
  • c’est formidable !
  • est-ce que je peux étudier avec vous ?
  • oui mais tu dois me payer les leçons
  • comment je pourrais vous les payer ?
  • coupe-toi les 4 doigts qui servent à tirer

Il s’est coupé les 4 doigts et il s’est illuminé. Histoire cruelle.

Il s’est rendu compte que le but n’était pas d’être un champion de tir à l’arc mais un développement et une conscience spirituelle. Il devait passer d’un but matériel à un but spirituel. Dans le petit livre que j’ai fait avec Boucq qui s’appelle « le trésor de l’ombre » il y a un archer qui veut atteindre la lune. Il commence à tirer des flèches vers la lune et tout le monde se moque de lui parce qu’il ne va jamais atteindre la lune. On le traite de fou. Effectivement il n’a jamais atteint la lune mais il est devenu le meilleur archer du monde. Cela indique qu’il faut parfois se mettre des finalités impossibles.

C’est un serviteur qui a tellement bien servi son maître que le maître lui dit

  • est-ce que tu veux un cheval
  • oui, maître, donnez-moi le cheval que vous voulez

Le maître lui donne un cheval mais le serviteur lui dit :

  • maître vous savez-bien que ce cheval marche à reculons. Quoi faire avec ?
  • c’est très simple : tu changes la monture, tu mets la tête vers la queue et tu le diriges où tu veux.

Avec ce que l’on a on fait ce que l’on peut.

Il y a un sultan qui a un bijou magnifique. Il prend un marteau et appelle son premier ministre :

  • combien coûte ce bijou
  • au moins 400 millions de dinars
  • prends le marteau et casse-le
  • non je ne peux pas vous faire ça

Le sultan appelle trois autres serviteurs et tous répondent la même chose.
Après vient son esclave favori, le plus humble de tout.

  • combien coûte ce bijou ?
  • c’est tellement énorme que je ne peux pas vous donner un prix
  • alors, casse-le.

Le serviteur prend le marteau et casse le bijou. Tout le monde est horrifié mais le serviteur dit :

  • c’est bien préférable pour moi, bien plus précieux d’obéir à un ordre de mon maître que respecter un bijou.

C’est une histoire soufi, racontée par Roumi. L’ego doit obéir à l’être suprême qui est en soi.

C’est un religieux qui porte un turban. Il porte un turban pour que s’il meurt brusquement il puisse être enseveli. Il rencontre un âne et lui dit

  • montre-moi le chemin du Paradis
  • défais-toi de tout ce que tu as et je te montrerai le chemin
  • Il se défait de tout mais l’âne lui dit
  • mais tu ne t’es pas défait de ton turban !

Alors il se défait du turban et il dit :

  • maintenant dis-moi quel est le chemin du Paradis.
  • puisque que tu as fait tout cela tu n’as plus besoin de chercher Dieu , c’est lui qui te cherchera.

Un homme arrive chez un Maître et lui dit :

  • je veux travailler sur mon ego.
  • crétin, vas-t’en !

On lui dit :

  • mais Maître, vous avez été terrible.
  • regardez il y a morceau de vitre de la fenêtre qui est cassé et un oiseau est entré par là. L’oiseau essaie de sortir mais croit qu’il n’y a aucune sortie.
    Le Maître attend que l’oiseau se repose et le Maître pousse un cri et l’oiseau effrayé sort par le trou.
  • cet oiseau va dire que j’étais méchant, agressif, horrible mais cependant mon cri lui a donné la liberté.

Ce sont deux psychanalystes . L’un dit à l’autre :

  • je ne comprends pas comment tu peux avoir une fiancée laide, bête et fauchée
  • oui, tu as raison mais elle fait des cauchemars merveilleux !

Je me suis demandé comment sortir de l’enfance. Une grande partie de nos malheurs ce sont nos regards enfantins. L’enfant a raison d’être comme il est, mais parfois nous attardons sur une chose, c’est qu’on veut quelque chose de la réalité et ce qu’on veut on ne l’a pas. La réalité n’est pas comme on voudrait. Chacun de nous est menacé, comme les animaux. Il y a des dangers et tout peut basculer tout d’un coup vers le drame : un être aimé meurt, on perd l’argent qu’on avait, on te trahit, tu as une maladie, ou les cheveux blancs etc. Cela peut foirer à n importe quel moment. Même la Terre n’est pas sûre. Il y a eu un grand tremblement de terre en Espagne. Une fois j’allais à côté de la Maison de la Radio et plaf !..un œuf en marbre est tombé devant moi. Il ne m’a pas tué mais c’était à 2 centimètres. Un œuf peut te tomber sur la tête à n’importe quel moment ! Vivre est un acte de foi incroyable, il faut implorer à tout moment la protection divine. Dans la Bible Dieu dit à Moïse « je marche devant toi, à côté de toi, derrière toi, avec toi. » C’est pourquoi Moïse n’avait pas peur, hyper protégé. Si on n’était pas aidé on ne serait pas là. Aujourd’hui dans le journal on raconte qu’un homme de 49 ans avec sa femme et son garçon de 14 ans les a tués ainsi que lui car une petite fille de 3 ans a accusé le garçon d’avoir fait des attouchements sexuels. Avant que la police arrive le Père a pris un fusil et s’est tué ainsi que la femme et le garçon. Il a eu honte.

Nous partons avec des illusions. On me montre un billet de loterie et on me dit « tu te rends compte ils ont gagné 45 millions de francs et personne n’est allé réclamer l’argent ». Je connais une personne qui a mis 3 préservatifs et les 3 étaient troués : ils ont appelé l’enfant Pépin ! Histoire vraie. Dans Libération on a découvert qu’un homme trouvait des homosexuels par internet et après les tuait. Il s’appelle Jean-Louis Pervers. Avec son nom il était obligé pour obéir à son Père d’être pervers. On est même menacé par notre nom. Si par hasard on a le nom d’un enfant qui est mort avant nous, on nous a donné un nom maudit. Si par hasard on m’a donné le nom de mon grand père qui était alcoolique, je suis obligé à devenir alcoolique. Ne vous effrayez pas.

L’enfant ne veut pas voir cela, on veut que le monde soit comme nous voulons. On dit « le couple c’est pour toujours ». Il n’y a pas un seul couple qui soit pour toujours parce qu’il y a le rêve qui finit avec le couple. « je veux que tu m’aimes » et on n’est jamais aimé. Un être humain ne peut pas nous aimer parce que l’amour c’est une fixation névrotique, une crise continuelle. Si Dieu existait, lui nous aimerait, mais l’amour humain est très limité.

Roumi raconte cette histoire :

il y a le Roi qui aime sa favorite mais elle ne veut plus coucher avec lui. Alors il est désespéré, malade. Il fait venir le médecin qui l’ausculte et qui dit « elle n’est pas malade, elle est simplement amoureuse du maréchal ferrant. Pour la guérir, prenez cette femme, enchainez-la avec cet homme dans une chambre, donnez-leur très peu à manger et traitez-les comme des bébés. Au bout de 6 mois ils se détestaient et on a du les séparer. Le roi en a profité pour récupérer sa favorite.

Je pense que l’adulte naît dans nous quand on accepte que les choses ne sont pas comme on veut. On fait alors le premier petit pas pour être adulte.
Après il faut donner un autre pas c’est : et comment elles sont ? Si les choses ne sont pas comme je veux donc je me mets dans une petite dépression nerveuse en prenant du Prosac. Les choses ne sont pas comme je veux, donc je ne sort pas de la journée et je me mets à prier, toute la journée. Ce sont également des drogues. Cela n’arrange rien. Ce qui peut arranger les choses c’est que je donne un pas en me demandant « comment sont les choses ? » Et c’est là que commence la guérison. Il n’y a rien de plus puant qu’un homme parfait, c’est un ego puant. Bouddha seul, c’est bon, deux Bouddhas peut-être, trois Bouddhas bonjour les dégâts. Les samouraïs sont des guerriers et il faut une dose forte de courage pour faire face à ce qui se passe en nous. Courage. J’ai fait des ratages mondiaux ! Aux US aucun journaliste ne voulait me faire un interview après la sortie de mon film. J’avais un ratage énorme sur mon dos. J’étais un raté pour la première fois. Et par hasard je suis entré écouter une conférence de Krishnamurti et avec les 6 dollars qui me restaient j’ai payé l’entrée. Il y avait 1000 personnes qui avaient payé 6 dollars. Alors Krishnamurti avait 6000 dollars dans la poche, et moi rien ! Alors Krisnamurti rentre, très élégant, très bien coiffé pour cacher un peu de calvitie. On lui a apporté un fauteuil et un micro. Mais il a trébuché et pour moi il avait raté, comme moi, et je suis sorti. Je n’ai pas eu cette consolation. Au bout de trois jours je me suis dit « courage » et cela s’appelle « j’ai raté ». Pourquoi j’ai raté ? Parce que j’avais fait des concessions et accepté qu’on fasse des coupures à mon film. Je n’aurais pas du faire de concessions, faire comme je voulais, imposer ce que je voulais, ne pas attendre le succès mais l’avoir tel que j’avais fait mon film. Me respecter. J’ai compris. Après j’en ai fait un autre et les choses ont changé. Mais c’est très courageux de voir qu’on a raté. Pourquoi quelqu’un te quitte ? C’est un salaud, un bandit ou une ingrate. Mais c’est moi qui me suis mis dans cette situation avec cet être là et dans mon inconscient je le savais car l’inconscient sait tout. Et après j’ai bien collaboré pour que la personne s’en aille. Elle ne m’a pas quitté, je l’ai chassée à coup d’antipathie, d’égoïsme, d’enfantillages. Au fond quand on donne le pas et qu’on voit ce qui arrive, on se rend compte que ce qui nous arrive c’est ce qu’on a cherché. La vie qu’on mène c’est la vie qu’on a cherché. Ce sont des pièges. Quand la personne cherche tout le temps des coupable, c’est un être enfantin. Quand la personne accuse sans cesse l’autre, c’est un enfant qui est au bord de la dépression car l’autre n’est pas comme je veux, tu me déçois. Mais on na pas à se décevoir de personne. Personne n’est là pour nous réaliser. La personne qui nous réalise, se réalise et on peut être ensemble, collaborer etc. mais la réalisation est absolument individuelle et après collaborer, faire des choses ensemble. C’est pour cela que les japonais disent que si tu rencontres un Bouhha sur le chemin, coupe-lui le cou. Lui s’est réalisé mais pas toi et tu ne peux pas vivre toute ta vie en cherchant une illusion. Il faut s’accepter comme on est.

Il faut solutionner avant notre condition humaine. Il faut du courage pour faire face à la douleur et une grande confiance en soi. Je résiste à la vie. Quand j’étais à côté de cet acteur qui était entre vivre et mourir, je lui ai dit « que tu es beau, tu ressembles à Don Quichotte . Si tu te levais, tu pourrais jouer Don Quichotte » Il a accepté le moment où il était un grand acteur. La comédie de l’enfant était terminée, il fallait s’assumer avec courage. Je n’ai pas raté, j’ai changé de chemin et courageusement, comme je suis j’avance. Je ne suis pas intelligent, donc je ne fais pas une chose intelligente. C’est tout. Je n’ai pas à montrer au monde que je suis intelligent. J’aime comme je peux, pas de mensonges. Je fonctionne sexuellement une fois par mois : une fois par mois. Je ne peux pas plus, il faut me prendre comme je suis. Si je ne te satisfais pas, prends des assistants. On peut toujours arriver à un arrangement (rires). On ne peut pas être ravi de ce qu’on a, on veut ce que l’autre a. Je veux l’illumination du Maître mais je n’aurais jamais l’illumination du Maître. Ce n’est pas pour moi, mais j’ai un fruit qui est pour moi. Mon être essentiel est pour moi. Si avec courage j’accepte mes limites, à ce moment là je deviens infini.

Il faut perdre tout. C’est l’histoire du turban. Quand tu perds tout on ne peut rien te prendre, donc tu as tout. Il y a une partie de nous qui est hyper précieuse, c’est la partie impersonnelle de nous-mêmes. Elle est intransférable, ce n’est pas comme un chèque. Elle vient avec moi, elle s’en va avec moi, c’est mon point de vue. La pensée fusionnelle a détruit l’orient. Si on essaie la nuit de se défaire des pensées, des émotions, des désirs, on se défait de tout et on se met dans l’œil conscience et une fois qu’on rentre dans l’œil conscience on s’endort. On ne peut pas aller plus loin. On passe de la conscience au rêve, au sommeil avec rêve et après au sommeil sans rêve. On n’est plus nous, on disparaît. La fusion est impossible, la fusion c’est pour les cadavres. C’est pourquoi Dogen disait « vous êtes comme des cadavres. » Le Zazen l’illumination d’un cadavre. La première chose qu’a fait Bouddha quand il s’est illuminé, selon la légende, c’est un hôpital mystique, un monastère et il s’est dédié à donner des leçons et à guérir les autres. Il les a habillé avec les linceuls qui ensevelissaient les morts et avec ce tissu il faisait le costume des prêtres. D’une façon métaphorique il prenait ce qui était utile des cadavres et il le mettait dans le vivant. Il faut avant tout être vivant et pour être vivant il faut être soi.

Le moi demande à être reconnu. Quel moi ? Le moi enfantin. Ne dis pas que tu n’es pas enfantin, ne dis pas que tu n’as pas de pensées perverses, ne dis pas que tu n’as pas de sentiment d’injustice, ne dis pas que tu n’as pas de désirs cachés. Et si en ayant un sexe tu ne désires pas, tu es foutu. Ne viens pas me dire que tu n’as pas de besoins. Sois courageux. Accepte la souffrance.

Il faut se reconnaître dans la difficulté. J’ai beaucoup travaillé avec un garçon pédophile. Il était animateur de colonie de vacances et les jeunes garçons l’attiraient. Et il souffrait, et il souffrait. Il ne voulait pas voir cela. Mon premier travail cela a été de lui faire dire ce qu’il ressentait, quelle était son attirance, qu’est-ce qu’il imaginait d’assumer. Sa femme était enceinte et il avait peur de désirer ses enfants. Mais après avoir parlé et qu’il s’est vu, la thérapie pouvait commencer. Quand plein de courage et de douleur il a accepté ses désirs. Sinon c’est se tromper à soi-même. Vous savez bien que nous sommes une race incestueuse. Dans l’Arbre Généalogique l’inceste est partout. Tant qu’on ne reconnaît pas ses pulsions incestueuses on ne se trouve pas, on est un enfant. On n’ose pas se regarder. Il ne faut pas s’ajouter des défauts, non plus. Ce serait de la vanité.

Histoire de se faire tatouer un lion : si je veux vivre essentiellement et arriver à mon pouvoir impersonnel qui est le lion, il faut que je passe par la douleur, que je me défasse des habitudes qui font mon individualité, mon identité. La plus grande peur que l’on a c’est de perdre son identité. C’est comme la mort. Alors pour arriver à être le guerrier que l’on souhaite, on doit passer par des moments où on ne sait pas qui on est. La leçon de Boddhidarma. L’empereur lui demande « qui es-tu pour me parler ainsi ? » et il répond « je ne sais pas » parce que il est arrivé au sacrifice total de son identité. On obéit mais on ne sait pas qui on est. Si on est tout le temps en train de s’affirmer, d’avoir 100% raison c’est parce que tes parents ne t’ont pas reconnu. Tu n’arrives pas à dire « ok, je ne m’affirme pas » Qu’est-ce que j’ai à m’affirmer ? J’ai raison ? J’ai raison. Je n’ai pas raison, je n’ai pas raison. Tu m’aimes ? Tu m’aimes. Tu ne m’aimes pas, tu ne m’aimes pas.
L’homme ne voulait pas payer le prix et être identifié. On défend son identité. Même dans le ventre maternel on ne nous donne pas l’identité. Pour exister dans une famille, il faut qu’on admette notre existence, mettre de côté les fantasmes des parents et les plans qu’ils font sur nous. « Je voudrais une fille, je voudrais un garçon, mon enfant sera le Christ parfait, il s’appellera Emmanuel(le), Joseph, Jésus etc. » On te donne une identité qui se colle à ta peau et tu dois défendre cette identité comme tu peux. Et parfois les parents sont en train de défendre leur identité et tu n’as rien à dire car tu viens de ce foyer là avec une envie totale d’être reconnu(e) mais ne jamais admettre que tu te trompes. C’est le sacrifice qu’il faut faire. Comme cela on a un lion.

Pour l’histoire de la femme : je suis complètement rempli par cette femme, c’est mon âme. On ne sait pas ce que c’est l’âme mais c’est ce qui n’est pas la matière, ce qui voit le corps qui s’écoule comme une rivière. C’est un état immuable, qui ne change pas en nous-mêmes, la perfection de l’être essentiel que nous sommes. Cette âme là on doit la faire circuler par tout le corps. Je ne peux pas trébucher si je suis un être de conscience. Si je trébuche je dois dire « j’ai trébuché, excusez-moi. » Si je suis conscient que je me suis trompé il n’y a pas de dommages. Je ne peux pas me permettre de ne pas être dans un endroit de mon corps. Je dois être dans mes os, dans mes viscères, dans ma peau. Le corps est mon serviteur et mon maître, j’ai le droit de l’habiter. Dans les névroses on est coupé : il y a des personnes qui vivent dans la tête, sans bras, des personnes qui ne sont pas là. Parfois on n’est que dans un seul côté, le gauche par exemple et on nie la droite, quand le père a été absent.

Histoire du bol d’or. C’est le problème christique. C’est l’enfant parfait, la mère l’a fait avec un dieu mystérieux, donc c’est l’enfant qui n’a pas de père, la mère est parfaite, vierge, sans sexualité, elle l’a fait avec son propre père, donc je suis le fils de mon grand-père et je dois être comme lui, parfait. Si c’est possible je dois mourir ou rater à 33 ans. Dans les académies de théâtre ce sont les egos qui y vont, il n’y a pas d’illuminés au théâtre. Et le maître de ces grands egos c’est toujours un grand ego non réalisé car il ne va jamais donner son secret à un autre acteur. S’il est professeur c’est qu’il a déjà raté. Il dit « c’est difficile de jouer ! » et l’élève sort complètement vidé et il ne peut pas jouer de toute sa vie ! Le sens d’un acteur, c’est qu’il doit jouer mal car si on joue bien le public s’ennuie. Il ne faut pas être parfait mais excellant. La recherche de la perfection dans les écoles est épouvantable. De même pour la littérature : comment écrire après Proust, Kafka, Garcia Marquès ? Dans l’art il n’y a pas de perfection, il y a excellence. De même l’amour parfait n’existe pas. On ne sait pas ce que c’est l’amour. Je connais la dépendance, je connais la projection, je connais l’introjection, je connais la névrose à deux, je connais l’auto destruction à deux, je connais l’escroquerie. Je connais beaucoup de choses mais l’amour parfait je ne l’ai jamais connu. Ce qui existe c’est la compagnie humaine, l’amitié, les intérêts communs, les actions communes. l’oeuf Jeter la cruche d’or par la fenêtre : c’est vouloir être parfait, croire que l’autre est parfait et vouloir la perfection l’oeuvre commune, l’aide commune, la présence merveilleuse de l’autre, la présence divine de l’autre, tout cela ça existe. Mais c’est excellent, ce n’est pas parfait. Quand vous commencez un coup de foudre c’est 30 personnes, deux Arbres Généalogiques qui se mettent en marche. Mais jamais il y a le couple parfait. Au bout d’un moment on se trouve mais quand la vie commune commence, c’est la guerre du Vietnam. On n’est pas pareil, alors il faut ajuster, et commence le sacrifice. On le fait mais à l’intérieur de soi on rage.

Cassette enregistrée et prêtée par Denis Patouillard Demoriane.
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