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94 - le deuil : Extraits de la conférence du 22 Octobre 1997

Pour tous ceux et celles qui n’ont pas eu la chance d’assister au cabaret mystique d’ Alexandro Jodorowsky

Quelqu’un m’a envoyé un mot. Je vous le lis :

« cher Monsieur Jodorowsky,

Il y a deux semaines que ma mère est décédée dans son pays. Je suis dans un chagrin et une douleur épouvantable. Que dites-vous pour calmer mon âme, que faut-il faire quand on a tellement mal ? Je ne l’ai pas vue et cela me fait encore plus mal. »

Quand j’ai eu une aussi grande douleur je suis allé voir mon maître Zen et il m’a dit un seul mot : « cela fait mal » et c’est tout. La perte il faut l’accepter car elle est irréparable. Nous ne sommes pas comme les animaux, dans l’émotionnel, car quand ils ont une blessure la peau fabrique de nouvelles cellules. Nous sommes comme les plantes. Quand on fait une blessure à un arbre c’est pour toujours. La seule chose qui lui reste c’est à passer le temps et créer sur la blessure une couche nouvelle. Quand on casse une branche d’un arbre on peut faire pousser une branche à côté. Dans ce cas là il n’y a pas de consolation, il faut assumer la douleur, ne pas lutter contre la douleur, la tenir là, laisser le temps passer car le temps travaille pour nous, il nous donne la résignation. C’est tout. Se résigner et laisser la vie pousser à côté et chercher le bonheur et la jouissance à côté en laissant cicatriser la blessure sans jamais la guérir.

Une pensée consolante c’est que l’océan divin, qui est un autre plan que ce plan là, est énorme et que c’est un plaisir continuel et penser que l’être disparu, sa goutte individuelle est rentrée dans l’océan de bonheur divin. Les morts ne souffrent pas, c’est nous qui souffrons. Ils sont dans le bonheur total, ils ne souffrent plus. Nous souffrons, nous, alors il faut nous guérir, nous. C’est tout ce que l’on peut faire, on ne peut pas faire plus.

Quand on n’a pas assisté au décès, on fait un acte de Psychomagie : on prend une photo de Maman, on fait un très beau coffre, on met la photo et une offrande, une fleur, dedans. On va à un très bel endroit, on enterre la boite, on plante une plante, on donne la vie, on fait le deuil et on s’en va. On s’habille avec de très belles couleurs, pas en noir, avec de très belles couleurs. Le deuil est fini et c’est tout ce qu’on peut faire. On traînera cette souffrance toute la vie parce que c’est une forme de la vie.

Moi, par exemple, je souffre de voir mes fils parce que quand ils étaient petits c’était des merveilles et les enfants qu’ils étaient ne sont plus là. Ce sont des adolescents qui sont là, mais ces enfants que j’ai tellement adoré, ils ne sont plus là. Il y en a un qui commence à avoir des cheveux blancs ! donc son adolescent n’est plus là, il y a l’homme mûr qui est là. Mais cela veut dire qu’il y a toujours quelque chose qui est là et toujours quelque chose qui disparaît. Alors il faut remercier ce qu’on a eu, pas ce qu’on a perdu. Tout ce temps là, on a eu. A ce moment là on remercie pour ce qu’on a eu et pour ce qu’on a perdu on se résigne. De toutes façons on n’y peut rien car rien nous est donné tout nous est prêté. Là je parle comme un curé, mais dans des circonstances pareilles on devient un curé, on ne peut pas faire autre chose, on ne peut pas consoler. « Cela fait du mal » m’a dit le Maître. Cela fait du mal.

Cassette enregistrée et prêtée par Denis Patouillard Demoriane
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