[]

93 - " La rencontre est magique " extrait de la conférence du 6 janvier 1999

Pour tous ceux et celles qui n’ont pas eu la chance d’assister au Cabaret Mystique d’Alexandro JODOROWSKY

Je vais vous raconter une blague et trois histoires de tortues.

D’abord la blague très vulgaire :

« c’est un gars qui travaille dans le bâtiment, au huitième étage et il a un besoin pressant. Il va aux waters du bâtiment, il ferme la porte et au bout d’un moment quand il sort il ne trouve pas ses deux copains. Il voit qu’ils sont tombés, écrasés par terre. Les secours arrivent on amène les gars, et les veuves ont reçu par les assurances 1 million de francs. Quand il rentre chez lui sa femme lui dit « elles ont reçu 1 million de francs et pendant ce temps là tu chiais ! »

Chacun de nous est un point de vue sur la réalité et ce qui nous arrive nous arrive de notre point de vue personnel. Quand j’aide le mercredi avec les Tarots, au fond ce que j’aide c’est un point de vue. Point de vue sur moi-même et sur l’autre. Alors quand il y a un problème grave et que l’on veut être thérapeute et aider l’autre il faut aller dénicher de quel point de vue la personne voit la réalité différente à moi. Le thérapeute aussi a un point de vue sur l’autre et sur soi. Il faut qu’il se rende compte que son consultant n’a pas son point de vue à lui. Il doit se mettre dans la peau de l’autre et comme un détective voir quel est le point de vue de la personne sans la juger. Même si je pense que la personne se trompe, elle a ses raisons et on va voir aujourd’hui pourquoi la personne se trompe. Au fond la personne ne se trompe pas, son point de vue a été créé. Notre point de vue n’est pas à nous. Nous ne voyons pas la réalité comme les autres, nous la voyons d’un point de vue. On nous a fait un point de vue. Si par exemple, je me trouve avec une personne qui a une phobie, la première chose que je lui dis c’est que celui qui a la phobie ce n’est pas toi, c’est ton point de vue qui te voit comme cela. Donc toi tu n’as pas une phobie. Les problèmes qui nous arrivent sont à voir d’après notre point de vue, la folie qui nous prend, ce n’est pas nous. Donc cela donne beaucoup d’espoir.

Pour comprendre l‘histoire on voit que quelque part la femme de l’ouvrier voulait sa mort. Il faut penser que dans le couple comme dit le maître d’Arnaud Desjardins, l’autre cherche toujours son propre intérêt. Il ne faut pas se leurrer et si on ne respecte pas que l’autre cherche son propre intérêt, tu fais une relation qui est fausse. C’est dur à avaler !

Voici maintenant trois histoires de tortues :

Les animaux font un concours de blagues. La tortue arrive le lion dit « chaque animal raconte une blague, on lui coupe la tête si cela ne fait pas rire la tortue. » Arrive le renard qui raconte une blague, mais la tortue ne rit pas et on lui coupe la tête. Arrive le singe, qui mime une histoire incroyable et tout le monde rigole et la tortue ne rigole pas. On coupe la tête au singe. L’éléphant commence « il y avait une fois. » et la tortue se met à éclater de rire. On lui dit « mais tu n’as même pas entendu l’histoire. » La tortue répond « non, non, non, je viens de comprendre l’histoire du renard ! »

C’est une merveille.

La deuxième histoire c’est que cette tortue là avait soif de caresses, mais personne ne la caressait. Alors une nuit elle s’est échappé de la carapace, elle est arrivée chez une femme aveugle et s’est fait passer pour un chat. Et on la caressée.

La troisième c’est qu’il y avait un porc épic qui souffrait car personne ne voulait le prendre, le toucher. Tout d’un coup il entend des pas qui s’approchent et il se dit « qui vient m’attaquer ? » arrive la tortue et là ils se sont trouvés et ont commencé à vivre ensemble. La tortue avec sa carapace était invulnérable et cela ne lui faisait rien pour elle les piques du porc épic. Ils sont devenus copains et ils ont fait un couple.

Moralité : tout couple est névrotique.

Pour la première histoire on peut dire que tout le monde n’a pas la même vitesse. Il y a des oiseaux qui font leur nid en une semaine et d’autres en 6 mois. Chacun a son métabolisme, son rythme à soi, particulier. Toi tu vas vite, par exemple, et la personne va lentement. Si tu as une vitesse de réaction, tu vas rentrer dans des conflits épouvantables avant que la personne te comprenne. Tu es allé trop vite.

Pour l’histoire de la tortue on va dire que la carapace c’est la névrose. La tortue sort de sa névrose momentanément, imite qu’elle est un chat et se fait caresser par une femme aveugle. Cela veut dire qu’une personne garde sa névrose, se fait passer pour une personne en pleine santé et trompe la personne qui ne peut la voir. Tu vas déguisé et c’est un échec épouvantable. Un névrotique doit assumer sa névrose, et faire un couple avec une autre névrotique, un point c’est tout ! Chercher la névrose complémentaire. C’est à ce moment là que les pointes du porc épic vont devenir molles et la carapace de la tortue peu à peu va s’assouplir et ils vont se trouver et être heureux. Il va falloir qu’ils aient la sainte patience, sinon tout est foutu de nouveau. Tous les couples ce sont une projection soit des parents, soit du frère et de la sœur. Tout couple c’est un secret de famille, deux secrets de famille qui provoquent la névrose. Cela fait des années que j’apprends l’Arbre Généalogique.

Nos problèmes viennent de comment on a été conçu, du ventre maternel, de l’état névrotique de ton père et de ta mère, névrose que tu absorbes. Par exemple des personnes me disent « je veux mourir, je ne sais pas pourquoi. » En grattant cela on découvre que si on veut mourir c’est que l’on veut être aimé dans le ventre de la mère qui ne veut pas l’enfant car il y a des problèmes avec le père. Le fœtus capte le désir de la mère qu’il meure et après il va se créer une mort, il va mourir pour obéir à la mère. La mère va le traiter dans le corps comme une tumeur et le pauvre placenta va faire un travail quadruple pour défendre le bébé, pendant 9 mois. La personne a dans son psychisme fœtal l’ordre de la mère de mourir et comme il veut être aimé de la mère, il obéit et va s’auto détruire. Bon, ce n’est pas si grave que cela !

Nos mésaventures et nos qualités commencent dans le moment magique de la rencontre d’un couple. Tout est là. Je viens d’un couple homme/femme et il faut savoir comment ils se sont rencontrés et non pas comment j’ai été conçu. Toujours la rencontre d’un couple se vit comme un évènement magique. Pourquoi ils se sont rencontrés ? Mystère. Vous-même pensez, quand vous avez eu un grand amour, comment vous vous êtes rencontrés. Vous allez voir que dans la rencontre il y a tous les défauts et toutes les qualités de la future famille. Tout est là en une seule seconde. Toujours les couples n’auraient jamais du se rencontrer mais c’était tellement écrit qu’il fallait se rencontrer. Les choses obéissent à une loi incroyable. Et à partir du moment où il y a cette rencontre nous sommes là. Alors une pensée utile c’est de penser que nous provoquons cette rencontre parce que nous voulons naître. Si vous êtes là c’est parce que vous avez voulu naître. C’est une théorie très utile. Parfois on se sent mal parce que nous avons voulu naître mais pas nos parents ne voulaient pas que nous naissions, parce qu’ils venaient de parents qui ne voulaient pas qu’ils naissent. Quand ils n’ont pas eu l’amour maternel et paternel, ils ne savent pas le donner. La reproduction se fait, mais toi tu n’es pas attendu comme tu aurais voulu. Et quand tu nais, les parents sont tellement dans leur point de vue et dans leur intérêt, ils n’ont pas fait leur travail, que toi tu n’es pas vu. Tout simplement tu n’es pas vu. Pour me sentir vivre il faut que je me sente vu par des yeux maternels et paternels remplis du regard divin et voir que toi tu es un être divin, voir ta divinité. S’ils ne sont pas capables de voir ta divinité, tu es foutu ! Je peux vous parler des névroses car j’en ai eu pendant 40 ans. Mais je me suis sauvé.

Le bébé est hyper conscient donc il s’attendait à être bien traité, soutenu. Alors quand tu n’as pas ce que tu désires, que tu n’as pas satisfait ton désir d’être vu comme une divinité, car on amène un trésor de vie, alors on se sent vide bien que le trésor soit là. On rentre alors dans un problème de fusion car comme on ne nous a pas donné l’être on va chercher l’être ailleurs. Bien sûr que cette fusion ne sera jamais satisfaite parce que ce qu’on ne t’a pas donné dans l’enfance, personne ne te le donnera jamais. Il va falloir que tu te le donnes. Si tu te mets dans la fusion tu auras un double problème : l’autre personne va vouloir te donner ce qu’on ne t’a pas donné, un père ou une mère et comme il n’a pas eu de parents il va devenir ton père ou ta mère et il va te prendre, te prendre. Et toi au lieu d’être satisfait car tu as trouvé papa, tu as trouvé maman, tu commences à t’angoisser car on te dévore. Alors tu es entre le désir de te fusionner et l’angoisse d’être démoli. Cela veut dire que tu ne trouves jamais ce que tu veux et la personne tourne autour de son propre intérêt et plus tu lui demandes plus elle fait comme le moulin à prières qui prie pour les tibétains, tellement ils sont paresseux. Alors plus tu demandes, plus tu demandes l’autre tourne comme un moulin à prières pour lui-même parce qu’au fond, ce qui monte au ciel c’est le moulin à prières. Le paradis tibétain est plein, plein de moulins à prières mais il n’y a aucun moine. Tu rentres dans la symbiose impossible et toi tu essaies de paralyser l’autre, de lui faire faire ce que tu veux qu’elle fasse. L’amour doit se faire sans contrat, avec patience, patience. Ce n’est pas l’exigence sinon on rentre dans le pouvoir.

Quoi faire ? Aller à la base, se rendre compte que notre point de vue a été créé dans le ventre maternel avec l’absence ou la folie paternelle. Ils sont complices. La vie c’est une rencontre magique, c’est une belle magie et il faut la respecter, sans hypocrisie. Ne pas faire comme la tortue qui abandonne sa carapace et se fait passer pour un chat. La rencontre se fait avec les personnes dans l’état pitoyable où elles sont. On se regarde comme on est avec un respect incroyable. Les personnes qui n’ont pas confiance et qui sont agressives c’est parce qu’elles ont été victimes. On a écrasé ma divinité, on m’a traité de Diable. On m’a laissé dans les mains des professeurs, à l’école.

Quoi faire ? D’abord, le respect pour l’autre. Chaque personne est sacrée. Mais on veut attirer l’attention sur soi-même et on ne se respecte pas. Pour commencer respecter sa carapace, sa névrose, ses manies, ses défauts, sans culpabilité. On a le droit d’avoir des défauts, on n’est pas l’enfant Jésus, maman n’est pas la Vierge, elle n’a pas couché avec Dieu. Je ne suis pas parfait. Mais mes défauts sont des qualités, aussi. Peu à peu, en me respectant, avec patience, je vais devenir quelque chose de plus supportable pour l’autre, respecter l’autre. Sinon ceux qui vont payer, ce sont les enfants. Nous allons payer cela.

Après il faut se rendre compte que la fusion n’est pas la solution. Je peux rentrer en contact et avoir un enseignement, mais c’est une grande erreur de devenir ami de mon thérapeute, de mon maître car le travail alors ne se fait pas. Nous devons protéger notre vie mentale, émotionnelle, sexuelle et économique. Nous devons nous protéger et ne pas attendre la protection de l’autre : la Banque, le gouvernement, le chômage, la retraite. etc…On a un infini de choix, mais on a une situation. Nous sommes une petite formule dans l’éternité que l’on ne peut pas changer, c’est le bijou que nous sommes et le ciel c’est une constellation de petits bijoux qui sont nous. Quand tu te rends compte qu’il n’y a pas fusion, tu commences à te fusionner avec toi-même.

Comment ? Le doigt qui pointe la lune, ce n’est pas la lune. Se mettre dans une position parfaite, mais ce n’est qu’une position corporelle. On immobilise le corps, la colonne vertébrale droite pour que l’énergie circule, mais tu peux méditer comme tu veux. C’est comme l’acte sexuel. C’est un acte orgasmique avec la totalité. Il faut lâcher un peu le désir de possession, il faut se calmer corporellement. Je respecte cette partie de moi qui est mon corps et je le laisse vivre sa propre vie. Pas de fusion là avec moi-même. C’est difficile de lâcher le corps. Peu à peu aussi la sexualité, car on est tellement un animal sexuel, de désirs créatifs. Il faut laisser que cette énergie vive sa propre vie. On la respecte mais on n’est pas là. Après j’ai beaucoup de douleurs émotionnelles, de l’amour, des recherches, des demandes. Il faut lâcher et on laisse tranquille l’émotionnel. Après vient la dernière étape pour se trouver, le mental. Cela fait peur car là il y a l’identité. Respecte ton ego. Si tu respectes l’ego de l’autre, pourquoi tu ne respectes pas le tien. L’ego est à notre service, il faut l’utiliser. Tranquille.

Et là on commence à entrer dans un endroit de rêve, dans une région inconnue de nous, où il n’y a pas de mots. Les mots ne sont pas l’inconscient. Il y a un inconscient corporel, un inconscient sexuel, un inconscient émotionnel, et inconscient intellectuel. Mais il y a un mystère dans nous qui ne correspond à aucun de ces inconscients. C’est notre partie cosmique. Nous-mêmes nous portons un cosmos, nous sommes la totalité. C’est là qu’il faut rentrer et c’est à partir de là qu’il faut voir le monde. Pas tout le temps, de temps en temps, quand il le faut.

Dans la symbiose, dans le conflit on peut s’en sortir en regardant la chose du dehors de soi, car ce dehors de soi c’est nous. Nous ne finissons pas là. Nous sommes très, très vastes. Dans les forêts on peut sentir les personnes à 5 km. L’animal a une aura qui est mesurée par la longueur de son saut. Si un animal peut sauter 3 mètres, jusqu’à 3 mètres, c’est lui. Si un autre animal ne rentre pas dans ces 3 mètres il ne le tue pas. S’il rentre dans les 3 mètres il va le tuer. Il y a des personnes qui ne savent pas cela, on ne leur pas appris que l’autre ne finit pas là et elles rentrent dans le territoire des autres. Les êtres humains ont une aura qu’il faut respecter. Il faut connaître nos limites, jusqu’où on arrive. Quand une personne ne se croit pas intelligente c’est parce qu’on lui a habitué à vivre dans un lieu étroit. Alors tire une lumière intérieure et fais-la aller au loin. Jusqu’où tu peux imaginer que tu vas, par tous les côtés : en avant, en arrière, en haut et en bas. Tire cette lumière. Ouvre ton domaine, va plus loin, plus loin encore. Alors la personne se rend compte qu’elle vit vraiment enfermée, dans un petit espace. L’intelligence se mesure selon la grandeur de ton espace et la sagesse se mesure selon la grandeur de ton temps. Un homme, ou une femme, sage vit dans l’éternité, il a la conscience totale de l’extension du temps et plus il peut imaginer l’extension du temps, plus sage il devient. Plus loin la personne se projette, plus elle devient intelligente. C’est ce qu’a fait Bouddha. Il dit « imaginez qu’un oiseau vient, qu’il gratte son bec sur la montagne, une fois tous les mille ans. Quand il arrive avec son petit bec, tous les mille ans, à user toute la montagne, ce n’est qu’une seconde de l’éternité » En acceptant l’éternité et l’infini en nous, nous sortons de la fusion et nous pouvons offrir à l’autre un espace et un temps pour que l’autre puisse se développer. On est pareil, et si on est pareil on sera calmes, évolués, on va accepter les tempêtes avec la même facilité que le ciel accepte une tempête, tranquillement.

Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays. Cassette enregistrée et mise à disposition par Denis Patouillard-Demorane